Chronique - Leconte : "On en veut tous les jours"
Par Christophe de JERPHANION le 07/07/2014 à 19:03
Henri Leconte, demi-finaliste à Wimbledon en 1986, nous livre son regard sur cette deuxième semaine du Grand Chelem londonien, achevée en apothéose par une finale mémorable entre Novak Djokovic et Roger Federer...
Henri, commençons par cette finale, avez-vous vibré ?
On a vécu une finale extraordinaire, pleine de rebondissements, avec la balle de match sauvée par Roger Federer au 4e set, puis le Suisse qui se retrouve pour aller chercher ce 4e set avant de se heurter à l'incroyable force mentale de Novak Djokovic. On a vu deux joueurs tout simplement exceptionnels, capables de se dépasser pendant 4 heures. C'était tout simplement un spectacle extraordinaire. Et la preuve que les petits jeunes qui montent vont encore avoir du travail avant d'aller déboulonner les grands anciens. On a revu un Roger Federer aérien se déplacer comme on ne l'avait plus vu faire depuis longtemps. Je crois qu'il a vraiment retrouvé la joie de jouer, d'aller vers l'avant, de créer des choses nouvelles. Et puis, face à lui, un joueur d'une autre planète, Novak Djokovic. Il a été énorme en retour et surtout, je le redis, il a fait preuve d'un mental monstrueux. Tout ceux qui ont regardé cette finale ont pris une nouvelle leçon de tennis et ils nous en apprennent tous les jours. Pour ceux qui croyaient que Roger Federer était fini, il a montré le contraire. Je ne suis pas certain qu'il ait laissé passer sa dernière chance, il va encore falloir compter sur lui pour une victoire en Grand Chelem. Des finales comme ça, on en veut tous les jours !
Au-delà du duel entre les joueurs, il y avait aussi un duel entre les coaches, deux hommes que vous connaissez bien, Boris Becker et Stefan Edberg, qui avait disputé 3 finales de Wimbledon consécutives l'un contre l'autre. Est-ce si anecdotique ?
Non, je ne le crois pas. Ils se sont livré un véritable duel à distance. Pour Boris Becker, c'est une nouvelle vie qui commence et il était très important pour lui que le champion qu'il entraîne gagne enfin. On a aussi vu un Stefan Edberg très démonstratif, qui s'est pris au jeu. Il y avait vraiment de la pression sur ces anciens, de vrais attaquants comme on n'en avait plus vu depuis longtemps. Il faut avoir beaucoup de respect pour les joueurs qui ont atteint cette finale de Grand Chelem. Ce sont d'immenses champions tous les deux, mais ils sont toujours à le recherche de moyens de progresser, en prenant à leurs côtés des entraîneurs comme Boris Becker ou Stefan Edberg. C'est une finale terrible sur le plan du résultat pour Roger Federer, mais il va aussi en tirer des enseignements très positifs sur le plan du jeu. Oui, respect et admiration pour Novak Djokovic et Roger Federer. On a vu aussi ce qui différenciait le "Big Four" des autres. Plus de vivacité, de souplesse. Tiens, ça m'a rappelé le Championnat du Monde de boxe entre Mohammed Ali et George Foreman. Ils sont un peu plus rentrés dans la cour des grands.
Et la relève ? La semaine dernière, nous évoquions Grigor Dimitrov et Milos Raonic, qui sont arrivés en demi-finales mais ont subi la loi des anciens...
Oui, la relève est là mais les 4 premiers sont encore bien devant. Ensuite, je vois un petit groupe, un wagon emmené par Grigor Dimitrov et Milos Raonic qui va s'installer dans le Top 10 et prendre peu à peu la place de certains joueurs en déclin, comme David Ferrer, par exemple. Pour le Bulgare, on a vu que le travail effectué aux côtés de Roger Rasheed depuis la fin de l'année dernière commence à payer. Milos Raonic aussi a beaucoup progressé, on l'a vu, dans le déplacement, dans la volonté de jouer vers l'avant. Ils ne sont plus très loin d'une finale de Grand Chelem, mais je pense qu'il leur a manqué l'expérience. Ils sont en train de l'acquérir et cette nouvelle génération sera bientôt prête à prendre le relais.
On vient de parler des satisfactions de ce Wimbledon 2014, mais la grosse déception, c'est Andy Murray, battu en quarts de finale. La presse britannique a parlé de soulagement, en souhaitant qu'il soit débarrassé de la pression qui pesait sur ses épaules. Où en est-il, selon vous ?
Oui, c'est possible. Il a bien géré les premiers jours, avec des victoires très convaincantes. Mais, en quarts de finale, il a implosé. Je ne vois pas d'autres mots. Intérieurement, il a volé en éclats et a proposé contre Grigor Dimitrov un jeu d'une incroyable médiocrité. On l'a vu dans ce match mettre des services et des coups droits dans le bas du filet. Je n'ai pas eu l'impression ce jour-là qu'il avait mieux gérer la pression, au contraire. Il a travaillé pour l'enlever, sans succès, il y a eu beaucoup de changement, c'est vrai, mais il ne peut pas se satisfaire d'un quart de finale à Wimbledon. Donc, c'est un échec. Novak Djokovic a pris Boris Becker pour gagner un Grand Chelem et il y est parvenu. Andy Murray a perdu ses repères après la séparation avec Ivan Lendl. Mais s'il a pris Amélie Mauresmo, c'est pour qu'elle l'aide à gagner de nouveaux titres en Grand Chelem. Mais quoi qu'il décide pour l'avenir, il ne peut pas se satisfaire d'un quart de finale, encore moins avec la qualité de jeu qu'il a proposée ce jour-là...
Qu'attendre pour cette fin de saison, pour cette saison sur dur qui s'achèvera avec l'US Open ?
Pour le moment, laissons-les se reposer, laissons-les digérer avant de parler de la saison sur dur. La seule chose que je prédis, ce sont des vacances ! Ces joueurs, ce sont des Formules 1, des mécaniques de précision, et je pense qu'ils ont tous besoin de souffler après l'enchaînement toujours très compliqué entre Roland-Garros et Wimbledon. Pour la suite de la saison, ne tirons pas de plan sur la comète. Tout peut arriver. A l'US Open, il y a toujours des surprises, mais aussi des blessés. Au moment où nous parlons, personne ne peut dire qui sera là à New York.