Chronique - Pin : "Serena ? Sa fierté fait sa force"
Par Bastien RAMBERT le 10/09/2014 à 13:06
Notre chroniqueuse Camille Pin, que l'on peut également retrouver sur Eurosport, évoque le 18e titre en Grand Chelem de Serena Williams. L'ancienne 61e joueuse mondiale explique que l'Américaine a encore fait parler son orgueil de championne à l'US Open et qu'elle devrait boucler sa saison sur une victoire au Masters.
Camille, que vous inspire le 18e titre en Grand Chelem de Serena Williams ?
Elle peut être largement au-dessus des autres joueuses lorsqu'elle a envie et qu'elle est concentrée, et ce malgré son âge avancé (Ndlr : elle aura 33 ans le 26 septembre) pour une joueuse de tennis. Je sentais que cet US Open allait être pour elle car c'est une championne fière, qui voulait se reprendre après ses contre-performances en Grand Chelem cette saison. Cette fierté fait sa force. Elle a dit : "quand je suis bien, il n'y a personne qui peut me battre" et c'est vraiment le cas. Ce n'est pas forcément le cas de Sharapova ou d'autres filles qui ont gagné des tournois du Grand Chelem. Elle est encore au-dessus quand tout va bien. Sa victoire à l'US Open ne me surprend pas du tout.
On a l'impression que Serena conserve encore et toujours son avantage psychologique par rapport aux autres joueuses...
C'est moins le cas cette année car elle a perdu contre des petites jeunes comme Muguruza à Roland-Garros. Cela n'arrivait pas trop avant. Les filles commencent un peu à la démystifier mais c'est vraiment elle qui impose un rapport de domination mentale de par son attitude. Elle est très provocatrice et elle veut impressionner avant le match. Certaines joueuses vont se liquéfier, d'autres commencent à se libérer. Serena veut toujours garder un certain pouvoir, même dans la défaite. On l'a vu demander à Alizé Cornet de l'attendre pour sortir du court à Wimbledon alors qu'elle venait de perdre contre la Française au troisième tour. Mentalement, elle cherche tout de suite à gagner des points.
Quel est le secret de la longévité de l'Américaine ?
Elle doit avoir une bonne qualité naturelle car elle n'est pas souvent blessée malgré la puissance de son jeu. C'est vrai qu'elle a un jeu qui n'implique pas beaucoup de courses. Elle frappe tellement fort qu'elle s'économise énormément. Elle fait la faute ou le point gagnant mais il y a très peu de rallyes. Ce sont des schémas de jeu en deux frappes de balle donc elle ne se fatigue pas trop. Je pense que sa longévité est liée à son jeu. En plus, elle a beaucoup de muscles donc cela protège ses articulations, ce qui n'est pas le cas chez toutes les joueuses.
Combien de temps va-t-elle encore dominer le circuit féminin même si cette année, elle a "sauvé les meubles" à l'US Open ?
Je pense que la saison prochaine sera similaire à celle que nous vivons actuellement. Serena va gagner un ou deux Grand Chelem. On voit qu'elle a un peu de mal à enchaîner toute l'année. Ce sont sûrement les séquelles de toutes ses années passées sur le circuit. Je la vois bien se partager le gâteau avec les autres, à condition qu'elle soit en forme et qu'elle est encore envie de se surpasser. Elle est très particulière dans sa manière d'être. Parfois, on a l'impression qu'elle est ailleurs. Elle ne va pas faire une saison complète en termes de résultats car désormais, c'est plus difficile pour elle d'être consistante du 1er au 31 décembre.
Le Masters est le dernier grand rendez-vous de la saison en simple. Serena est-elle la grande favorite après sa nouvelle victoire à l'US Open ?
Je pense qu'elle va gagner le Masters si elle reste sur cette dynamique-là. Par contre, cela ne sera pas aussi facile qu'à l'US Open. Le Masters regroupe les huit meilleures joueuses et il y aura énormément de résistance en face. Les enjeux sont énormes donc cela va être un peu plus équilibré mais je vois tout de même une victoire de Serena au bout.
Wozniacki est désormais à zéro victoires pour deux défaites en finale d'un Grand Chelem. Pensez-vous que la Danoise puisse un jour triompher en Majeur ?
On a l'impression que cela fait très longtemps qu'elle est là. Elle a fait finale cette année à l'US Open mais il y a encore une marche à gravir avant de remporter un Grand Chelem sachant que les jeunes comme Bouchard ou Muguruza frappent très fort et ne font que progresser. Wozniacki est affûtée et elle a une très bonne couverture du terrain mais je pense que la concurrence va être très rude pour la Danoise, même si elle a été numéro un mondiale et qu'elle n'a que 24 ans. S'il n'y avait pas grand monde derrière, on dirait qu'elle est jeune, qu'elle a beaucoup d'expérience, que les autres vont partir etc. Mais derrière, cela bouge bien donc cela s'annonce compliqué pour Wozniacki.
Marin Cilic s'est imposé chez les hommes, lui qui est entraîné par son compatriote Goran Ivanisevic, vainqueur de Wimbledon en 2001. Les anciennes stars, françaises ou non, seraient-elles une bonne solution pour nos Tricolores ?
Il y a une vraie vague en ce moment avec le retour massif des anciennes stars. On ne peut pas dire qu'il faut absolument recourir à ce système pour être très fort mais les anciens champions ont des détails à transmettre qui peuvent faire la différence à un certain moment. Cela vaut le coup d'essayer, en s'appuyant également sur un coach qui a bien connu le joueur ou la joueuse. C'est vraiment intéressant d'arriver à mixer les deux. Cilic a très bien joué mais il a sûrement eu un déclic en discutant beaucoup avec Ivanisevic. Gaël (Monfils) aurait pu battre Federer en quarts mais il ne l'a pas fait. Je pense qu'il ne faut pas compter que sur l'appui d'un ancien champion au cours d'une carrière mais à un moment donné, cela peut débloquer de petites choses. Il n'y a pas que la technique.
La France affronte la République Tchèque ce week-end en demi-finales de la Coupe Davis. Il y a un vrai engouement autour de cette compétition et l'on se demande si cela est pareil pour la Fed Cup...
Je pense qu'il y a une différence entre les deux compétitions, malheureusement pour la Fed Cup. Le tennis est le sport numéro un dans le monde chez les filles avec des gains énormes donc nous n'allons pas nous plaindre mais on reste encore dans une culture masculine du sport. C'est en train de changer mais cela prend du temps. En ce moment, les Français sont dans le haut du classement et c'est un bon moteur à suivre pour le public. Chez les filles, ce n'est pas la même chose même s'il y avait une très bonne ambiance contre la Suisse début février à Coubertin. C'est aux filles d'essayer de se booster pour conquérir à nouveau tout le public. Roland-Garros était rempli pour la finale de Fed Cup contre la Russie (2-3) en 2005. Il y avait Amélie (Mauresmo) et Mary (Pierce) chez les Françaises, des gagnantes en Grand Chelem. Il y a toujours un peu plus d’intérêt pour les garçons culturellement parlant mais les gens sont à bloc quand il y a du niveau chez les filles. Aujourd'hui, nos joueuses ne sont pas des stars même si Alizé (Cornet) réalise une carrière hallucinante. C'est à elle de devenir une star en allant chercher une finale de Grand Chelem. Tout passe par les résultats.
Propos recueillis par Bastien Rambert