Tennis. Roland-Garros - La chronique Fabrice David : "Roland... c'est parti !"
Par Fabrice DAVID le 24/05/2020 à 16:00
Fabrice David, vous connaissez. Avec son expérience journalistique, 23 ans au service des sports de TF1, avec sa polyvalence (reportages pour les Journaux Télévisés de 13h et 20h, les émissions Téléfoot et Auto-Moto, les magazines autour des Coupes du monde de football ou rugby, LCI), avec son savoir faire (storytelling, mise en récit, création de contenu vidéo et écrit) mais aussi avec son style (écrivain de polars et d'un livre d'humour), voilà la chronique Fabrice David... sa fiction sur Tennis Actu.
Vidéo -
Ce dimanche 24 mai 2020...
A droite, à gauche. Du monde, partout. Je pensais me promener tranquillement, entre la porte d’Auteuil et le bois de Boulogne. Je suis bousculé.
« Pardon… »
Je suis interpellé.
« Do you sell tickets ? »
Je ne comprends même pas la langue.
« La entrada, por favor ? »
Qui sont ces gens ? Que me veulent-ils ? Ils n’attendent même pas la réponse à leurs questions. Ils vont, ils viennent dans tous les sens. Les hommes en pantalon de toile et casquette, les femmes en robe légère, chaussures plates et chapeau de paille, les enfants en short et tee-shirt. Ils marchent, courent, se croisent, évitent les voitures, font la queue, se parlent, sourient. Les policiers tentent de réguler la circulation en s’agitant dans tous les sens. Chaque arbre qui offre un peu d’ombre est l’occasion d’une halte, d’envoyer des sms, de recevoir un appel, de relacer ses chaussures, de fumer une cigarette.
Il n’y a pas de Roland-Garros, ce mois-ci !
Ce dimanche 24 mai 2020, les alentours de Roland-Garros sont le centre du monde, comme tous les ans à la même époque, pour le début du tournoi. Bouche ouverte, je suis comme paralysé. Mais…. Que font-ils ? Tous ces gens, qui ont l’air, visuellement, sain d’esprit, sont-ils victimes d’une amnésie collective ? Il n’y a pas de Roland-Garros, ce mois-ci ! Je lis la presse, je regarde les infos ! La crise sanitaire a tout annulé !
Deux types me frôlent et se dirigent, billets en main vers la Porte Suzanne Lenglen.
Je demande : « Vous allez où ? »
Ils me dévisagent, miment l’alcoolémie excessive. Comme si je ne comprenais pas l’évidence. Je titube légèrement. Non pas à cause de l’alcool que je n’ai pas bu mais parce qu’il est difficile d’éviter la foule. Là une famille de province qui s’est levée tôt ce matin, ici, un groupe de sud-américains, là quelques japonais, ici des gamins excités, là un homme qui brandit un drapeau belge, ici des jeunes en pantacourt, transpirant, le badge autour du cou, qui montent et descendent du matériel des camions régie.
Des applaudissements et la voix du speaker qui annonce le score resonnent à l’intérieur de l’enceinte.
Mais… Je suis fou ? Le tournoi a bien lieu ?
Je franchis une barrière, hèle un vigile en polo qui contrôle les sacs.
« Roland Garros commence aujourd’hui ? Et le coronavirus ? »
Le costaud me toise. Il semble ne pas comprendre. Puis m’ignore, comme si ma question était trop saugrenue pour mériter son attention. J’insiste.
« Vous êtes français ? »
Je crois que ma deuxième question l’a vexé. Ses avant-bras de vigile sont dissuasifs. Mais c’est lui ou ma santé mentale ! Troisième question :
« Vous êtes au courant qu’une pandémie a confiné le monde depuis mars et que tous les spectacles et manifestations sportives sont reportés ? »
Discrètement, je le vois appuyer sur un bouton de son talkie.
« Sécurité ? Porte Suzanne Lenglen, s’il vous plaît… », dit-il dans sa barbe. Puis il m’ordonne. « Restez là, monsieur… »
Je tends le cou. A l’intérieur du stade Roland-Garros, les allées sont bondées. Je pense à voix haute pour tenter de me rassurer, même s’il en faudra beaucoup pour y arriver :
« Ces gens sont des figurants ! Ils sont tous là, payés, pour me rendre dingue… Les bruits de balle sont enregistrés ! »
Même un service de Milos Raonic...
Mais pourquoi organiser tout ce péplum pour me faire croire que je suis fou ? Il y a bien eu 55 jours de confinement, non ? Le foot, le rugby, le vélo, le tennis, l’équitation, le volley, le bowling, le parachute, les courses en sac, les courses de traineaux, le lancer de tronc… Toutes les activités sportives dans le monde ont été annulées, décalées ! Non ?
Et pourtant, ce dimanche, sous le soleil, à quelques mètres de la Porte d’Auteuil cette impression qu’il y a de la terre battue dans l’air… Du bruit, de la couleur, le goût et l’ambiance de Roland-Garros. Comme une année normale.
La sécurité arrive, sous la forme de deux gars en costume beige. Pas très avenants.
« Monsieur, nous vous prions de dégager les lieux pour laisser les gens rentrer sans perturber nos agents de contrôles. Sinon, nous nous verrons dans l’obligation de sévir. »
Sévir comment ? Même un service de Milos Raonic à bout portant dans mon visage ne me fera pas partir d’ci ! C’est trop beau ! Donc il n’y a pas eu d’épidémie, ni de confinement, ni de faillite du monde, ni annulations en cascade ? Je me permets de questionner les braves messieurs de la sécurité, un peu euphorique à l’idée que la balle jaune circule à la place du virus. Mais je voudrais être sûr.
« Vous connaissez le Covid 19 ? »
« Nous c’est Alpha 17, monsieur, voyez la sécurité d’une autre entrée. »
J’essaie autre chose…
« Vous vous souvenez avoir été confi.. ? »
« Ne soyez pas insultant ! »
Qui sont ces gens ? Ou ont-ils vécu, ces derniers mois ?
Je suis partagé entre le plaisir de suivre Roland-Garros en ce printemps et l’inquiétude que mes facultés mentales soient altérées.
J’insiste, à mes risques et périls.
« Le Professeur Raoult, cela vous dit quelque chose ? »
« Le tableau du simple messieurs est disponible sur le site, monsieur. Maintenant partez ! »
J’essaie de me convaincre. Je regarde autour de moi, je me tourne, me retourne. Des gens pressés, des touristes, des amateurs de tennis, des familles, des jeunes, des vieux, des vendeurs à la sauvette. La conclusion est irréfutable ! Oui, cela ressemble à tous les ans, quand je viens ici, m’imprégner de cette atmosphère…
« Donc, c’est comme d’habitude. Rafael Nadal va gagner et les Français ne dépasseront pas la première semaine… »
Le retour à la vie normale me rassure. Même si le suspens y perd.
Soudain, un pigeon roucoule bruyamment à l’intérieur de mon crâne. Je sursaute dans mon lit. Le réveil vient de sonner. Dimanche 24 mai. 9h05. Quel goût amer ! Non, Roland-Garros ne commence pas dans quelques minutes. Il était si bien ce rêve ! Mais la nuit prochaine, je change la fin. Un autre vainqueur malgré mon infini respect pour Nadal. Thiem ? Tsitsipas ? Zverev ? Federer pour son dernier Grand Chelem ? Roland se jouera probablement en septembre. Je crois que je vais me rendormir quelques mois.