Tennis - Philippe Bouin de L'Equipe répond à Llodra

"Bonjour Mika,

Un de mes jeunes confrères m’ayant transmis les extraits de ta biographie dans laquelle tu me fais l’honneur de mentionner mon existence, je tenais à te remercier. Doublement.

D’abord pour avoir eu la gentillesse de me qualifier de « bon mec, dans le fond ». Mes remerciements sont sincères ; j’apprécie le qualificatif.

Ensuite, je te remercie aussi pour m’avoir offert un cas d’école de l’erreur que tu me reproches d’avoir commise : la déformation de propos. Je regrette de ne pas enseigner dans les écoles de journalisme car cela m’aurait fourni un exemple idéal pour illustrer les dangers intrinsèques aux rapports entre les journalistes et les gens au sujet desquels ils écrivent.

Pour être honnête, ma première lecture de ton récit de l’incident qui, selon toi, nous aurait opposés, n’a éveillé en moi aucun souvenir. Puis, creusant ma cervelle d’Alhzeimerien en devenir, il m’a semblé me rappeler une (brève) vague de froid dans nos relations, surtout dans mes rapports avec ton père. En revanche je n’ai aucun souvenir d’avoir écrit ce que tu me reproches d’avoir écrit, ni d’avoir dit ce que tu m’accuses d’avoir dit, ni, surtout, de t’avoir supplié de 2003 à fin 2010 (date de mon départ du journal)  de  bien vouloir me parler plus que tu ne le faisais, à la fois parce que tu ne pouvais souvent pas t’empêcher de faire le malin en public et que je ne m’intéressais pas suffisamment à ton cas pour avoir à te supplier.

Or, dans le court passage de ta biographie qui évoque les lendemains de ta victoire aux côtés de Fabrice Santoro à l’Open d’Australie 2003,  tu affirmes : « Dans le journal, j’ai pourtant lu (NB : sous ma plume), abasourdi : « Llodra veut mettre dehors Pioline ! » Quand j’ai revu Bouin, je lui ai évidemment demandé des explications. « Ce n’est pas du tout ce que je t’avais dit, non ? ». Le journaliste m’a répondu : « Oui, mais je suis là pour interpréter ce que tu dis ou ce que tu n’as pas voulu, ni oseR (sic) me dire. » 

Depuis, je ne lui ai plus parlé. »

Me méfiant grandement de ma mémoire ainsi que de celle des autres, j’ai vérifié, grâce à mes confrères, dans les  archives du journal, les mots précis que j’avais alors employés à ton égard. Il appert que, entre le jour de ta victoire en double à Melbourne et celui de la publication de la sélection de Coupe Davis, je n’ai mentionné ton cas qu’à la fin d’un seul article plus général sur la journée du deuxième samedi du tournoi. 

Après un commentaire (dithyrambique) de ta performance en finale, je concluais : « On voit désormais mal comment le capitaine Forget pourrait ne pas rappeler Michael Llodra en renfort de Grosjean, Escudé et Santoro pour le prochain premier tour de Coupe Davis en Roumanie. »

Tu remarqueras que, dans ces quelques lignes, jamais je n’évoque Cédric Pioline ; jamais je ne te cite ; jamais, même, je n’affirme t’avoir parlé. Il s’agit simplement de mon opinion à moi et à moi seul. Tu n’as donc pas pu lire : « Llodra veut mettre dehors Pioline ! »

Je ne mets en revanche pas en doute la rancune que tu sembles avoir éprouvée à mon égard puisque tu ressens aujourd’hui, douze ans après les «faits », le besoin d’évoquer ta blessure morale.

Elle traduit, me semble-t-il, l’écart qui existe très souvent entre ce que les « écriveurs » écrivent et ce que les lecteurs lisent, écart encore plus grand à l’oral dans une discussion entre le locuteur et l’auditeur. (Ce sujet est souvent traité dans les travaux étudiant la communication entre humains.) La distorsion devient énorme quand la personne dont il est question dans l’article ne le lit pas lui-même mais s’en fait rapporter les propos supposés par un tiers bien intentionné (épouse, copain, famille, agent), cas extrêmement fréquent dans le sport, surtout quand le « sujet » se trouve à l’autre bout du monde par rapport à l’endroit où paraît l’article incriminé, l’Australie et la France par exemple.

Je ne sais si tu t’es à l’époque fait remonter les bretelles par Cédric, son agent, sa femme ou son père, ou par quiconque autre proche du dossier, mais il est clair que tu n’as pas pu lire sous ma signature ce que tu dis avoir lu.

Rassure-toi, tu n’es pas un cas à part. C’est même une constante dans une carrière de journaliste que d’être confronté à des gens qui ont « cru lire » ou « à qui on avait dit qu’on avait lu… ». Sache simplement que  je n’ai jamais écrit ce que tu prétends aujourd’hui avoir lu.

Je suis un peu plus embêté par les autres déclarations que tu me prêtes et qui donnent à penser que j’étais coutumier de la déformation de paroles ou de pensées. Je trouve vraiment gênant que toi et ton porte-plume vous permettiez de citer (entre guillemets) une prétendue  déclaration que douze ans plus tôt tu n’as ni transcrite immédiatement sur papier, ni enregistrée (méthodes journalistiques, elles). Et tout aussi gênant de ne m’avoir pas sollicité pour recueillir ma version de l’affaire.

Des amis bien intentionnés me conseillent de vous attaquer en diffamation ou de demander une « prière d’insérer ». Je n’en ai pas l’intention ; je doute que la diffusion de ce livre atteigne des sommets tels  que ma réputation puisse s’en trouver noircie.

Je me contenterai donc de faire suivre ce mail aux gens du milieu du tennis et de la presse dont l’avis m’importe. Et je me tiens à ta disposition éventuellement pour débattre  du message contenu par la formule enfantine « c’est celui qui dit qui y est », parfaitement adaptée à ce cas.

Amicalement,

Ph. Bouin (bon mec, dans le fond).

PS 1 : (à l’intention de ton « porte-plume ») : un journaliste est censé vérifier ses faits, ce que nous ne faisons malheureusement pas toujours, je le reconnais. Mauvaise pioche en l’occurrence. 

PS 2 : (à l’intention de Mika) : épargne-moi, si l’idée t’en effleurait, la mauvaise excuse classique du : « le rédacteur a mal compris ce que je lui avais dit » ; tu retomberais dans un autre travers d’école, celui du sportif qui n’assume pas ses propos (air très connu)."

FIN DE CITATION. 

 À Michaël Llodra d'y répondre s'il le souhaite ou pas. 

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