Tennis. ITW - Léolia Jeanjean : "J'ai vraiment tout perdu, très brutalement !"
Par Alexandre HERCHEUX le 06/02/2021 à 07:50
En voyant Caroline Garcia ou Kristina Mladenovic sur le grand circuit, Léolia Jeanjean s'est demandée à plusieurs reprises pourquoi ce n'était pas elle. Quart de finaliste des Petits As en 2008 et vue comme la future championne française, Léolia s'est gravement blessée au genou à 13 ans et demi et est totalement sortie des radars. Après des années de galère et des études aux Etats-Unis, l'ancienne étoile du tennis français a été LA révélation du Challenge Pro FFT, début décembre.
Vidéo - Le Mag Tennis Actu avec Léolia Jeanjean !
Finaliste à Poitiers, la Montpelliéraine a laissé passer la période des fêtes pour tenter de nouveau sa chance sur le circuit. Il y a deux semaines, elle a atteint le dernier carré du 15 000 $ de Manacor, le tout en sortant des qualifications. Ce dimanche, elle est engagée aux qualifications du 15 000 $ de Villena. Les points WTA sont durs à aller chercher. Avec beaucoup de caractère, la joueuse de 25 ans est en train d'écrire son histoire et retrouve la possibilité de vivre son rêve. Pour Tennis Actu, Léolia Jeanjean est revenue avec beaucoup de franchise sur sa jeunesse, ses années de galère, et son retour plein de panache sur le circuit.
"C’est vrai que ça a surpris beaucoup de monde que je revienne à ce niveau-là"
Leolia, tu sors d’une demi-finale et surtout 11 matchs en 11 jours à Manacor ? Ça doit piquer un peu les cuisses j’imagine ? Comment tu te sens ?
C’était assez dur. Honnêtement je ne m’attendais pas à tant de matchs. Je m’étais même inscrite en double pour m’assurer de jouer. Finalement, ça s’est bien passé. Physiquement, j’ai galéré mais ça m’a fait plaisir de reprendre la compétition comme ça.
Tu avais croisé Tennis Actu à Poitiers après ta finale du Challenge Pro FFT. Ton parcours avait retenu l’attention parce que tu reviens de loin et avec beaucoup de caractère. Tu avais atteint les quarts des Petits As en 2008 et ensuite tout a été plus compliqué. Tu peux revenir un peu là-dessus ?
C’est vrai que ça a surpris beaucoup de monde que je revienne à ce niveau-là. Les dernières images que j’avais données étaient une jeune fille qui avait des bons résultats. Ensuite, j’ai eu ma blessure, des soucis financiers, donc je suis partie aux Etats-Unis. C’est pour ça que ça a surpris du monde que je joue bien à Poitiers. Moi aussi un petit peu. On m’a envoyé des messages pour me dire : « Léo c’est super que tu reviennes à ce niveau-là ». Ça me surprend sans me surprendre. C’est une petite récompense du travail fourni.
"J’ai vraiment tout perdu et ça a été fait sans tact"
Peux-tu revenir sur cette blessure quand tu étais jeune ?
J’ai eu une triple luxation de la rotule gauche. J’étais encore avec la FFT à ce moment. Je me suis blessée aux championnats d’Europe en Russie. J’ai une première blessure, on me diagnostique mal. On pense que c’est juste un petit souci au ligament mais on n’avait pas vu que le ligament avait lâché. Je ne me repose que 2-3 semaines. J’ai joué les championnats de France qui étaient très importants car en gagnant, tu étais aidé. Il fallait à tout prix gagner. Je me reblesse en quarts. J’ai perdu mes aides avec la FFT et pareil le diagnostic a été bizarre. J’arrête 3 mois. Je vais à Cap Breton au Cers. Je reprends près de chez moi et encore une fois je me blesse à ce même genou. J’ai été opérée et j’ai eu 10 mois de rééducation.
Est-ce que tu en as voulu à ceux qui ont fait ces mauvais diagnostics ?
Oui et non. C’est leur métier donc c’est une faute assez grave. Je n’aurais pas eu besoin de me faire opérer avec les soins qu’il fallait. Ça fait 10 ans que c’est passé, donc je ne leur en veux plus. J’ai pris un chemin de vie différent. J’ai une double licence, un Masters donc j’ai fait ma vie. Ça peut m’aider pour le tennis. Je n’ai pas la pression de me dire « Qu’est ce que je vais faire si ça ne marche pas dans le tennis, si je ne suis pas top 100 etc… » Je n’ai pas cette pression-là.
Ce qui est frappant c’est le sentiment d’abandon que tu sembles avoir vécu après ta blessure. En plus des aides de la FFT, tu avais un gros contrat Nike c’est bien ça ?
Oui j’avais un des plus gros contrats Nike, Babolat aussi… Ça a été dur parce que j’étais dans le trou quand j'ai été opérée. Je n’avais que 13 ans et demi et on me voyait déjà jouer Roland-Garros Seniors à 17, 18 ans. Après ça, j’ai vraiment tout perdu et ça a été fait sans tact. Ça m’a mis un coup derrière la tête. Quand tout ça s’est arrêté, je ne pouvais plus voyager avec mon entourage.
Tu es montée très vite mais la chute a été brutale… Comment une adolescente surmonte ce genre d’épreuves ?
Ça a été très dur, je ne vais pas mentir. Je n’ai pas joué pendant deux ans donc je ne savais pas quoi faire. A mes 18 ans, on a pris la décision avec mes parents que je parte aux Etats-Unis. Ce n’était plus possible de payer une carrière dans le tennis pour mes parents. C’était compliqué car j’avais peur d’aller aux Etats-Unis, je pensais que je ne jouerais plus. Qu’une page se tournait… Avec du temps, et avec beaucoup de soutien, je me suis relancée.
Pendant le confinement, on retrouve des petites perles de reportage. Aujourd’hui, @KikiMladenovic et Léolia Jeanjean pour Tennis Magazine en 2007.
— Jean-Baptiste Baretta (@jbbaretta) March 23, 2020
Kiki venait de remporter les championnats de France 13-14 ans@remibourrieres 🖊 et @Ginie44 📷 pic.twitter.com/aTViXw7ugm
"Même dans ces moments difficiles, j’avais envie de jouer et continuer"
Tout ça ne t’a jamais dégoûté du tennis ?
Non du tout ! Au contraire ! Je suis passionnée. Avant d’être dégoûtée, il en faut je pense ! C’est une partie de moi. Même dans ces moments difficiles, j’avais envie de jouer et continuer. Je ne voulais pas arrêter car je l’aurais eu amer. J’ai serré les dents en ne jouant pas sur le circuit pendant un an et dès que ça s’est terminé, ça a été une délivrance de rejouer.
Tu as fait quelles études aux Etats-Unis ?
J’ai fait des études assez particulières. Je suis passée du coq à l’âne (rires). J’ai fait une licence en sociologie, justice criminelle. Ça m’intéressait beaucoup mais quand j’ai changé d’université, ce cursus n’était proposé qu’en ligne et il fallait être sur le campus pour avoir le visa étudiant. J’ai changé de voie et je me suis retrouvée en Masters de finances.
Et tu te voyais sortir du tennis ? Partir dans le vie professionnelle « classique » ?
Non du tout ! J’avais qu’une hâte : finir les études. J’ai énormément bossé. J’ai eu mon Masters en un an au lieu de 2 et mes deux licences en 3 ans au lieu de 4 ou 5. Je ne suis pas rentrée en France, je prenais les Summer Class pour finir le plus vite et rejouer le plus rapidement. Je mettais mon vrai rêve en stand-by.
"Parfois je me suis dit : « Putain, pourquoi moi je ne suis pas là aussi pour jouer les Grands Chelems ? »"
J’imagine que tu as suivi le tennis pendant ces années. Tu es de la même génération que Carolina Garcia ou Kristina Mladenovic. Tu t’es imaginée à leur place ? Ça donne un goût amer ? Tu t’es dit ça aurait pu être moi ?
Ah oui oui ! Clairement, je me le suis dit ! Caroline Garcia, on a quand même joué plusieurs fois le double ensemble. C’est d’ailleurs une fille avec qui je m’entends très bien, qui est très cool. Je me suis clairement dit « pourquoi ce n’est pas moi ? » J’avais tout pour y arriver aussi, je prenais le chemin pour que ce soit moi aussi en tout cas. Parfois je me suis dit : « Putain, pourquoi moi je ne suis pas là aussi pour jouer les Grands Chelems ? » Je n’ai pas broyé du noir là-dessus. J’ai relativisé. On a tous des chemins différents. Je me suis concentrée sur ce que j’avais à faire.
Tu as déjà discuté de tout ça avec Caroline Garcia ?
Non non pas vraiment. Ça fait longtemps que j’ai eu de ses nouvelles. On avait parlé quand j’étais aux Etats-Unis. Même elle me disait que plein de filles demandaient où j’étais. Les Bouchard, Putintseva, je les ai jouées quand j’étais jeune. Quelques-unes ont dû se poser des questions. Elle m’a juste dit qu’elle espérait que je reviendrais sur le circuit.
Finalement tout ça, ça prouve que tu étais très respectée par les autres joueuses ?
A l’époque, on connaissait mon nom à l’étranger. Ça me fait un peu de peine d’en parler. On a tellement travaillé quand on était jeune. Je les ai vues monter en flèche et moi ça a été une flèche dans l’autre sens. Ça fait un peu de peine…
Mais tout ça, c’est devenu une force maintenant, non ?
Oui je pense que j’ai pris en maturité. Je m’exprime mieux, j’ai pris du recul. Je joue pour moi aujourd’hui. Je n’ai pas les finances pour être accompagnée par un coach donc je voyage seule. Je fais ça pour moi. Je ne me pose pas de questions. Je fais de mon mieux.
"Pour que ma carrière soit réussie, il faut jouer en Grand Chelem !"
Tu viens de battre Alice Ramé, qui t’avait battue à Poitiers et Sara Cakarevic, j’imagine que ça donne beaucoup de confiance.
Oui ça montre que je suis sur le bon chemin. Ça m’a fait plaisir de prendre une revanche contre Alice et d’enchaîner contre Sara. Ça fait plaisir mais bon mon objectif était de gagner le tournoi, je n’ai pas réussi. Ça m’encourage, je suis bien entourée, ça me conforte dans la décision que j’ai pris d’aller à Toulouse.
Et désormais, l’objectif à court terme c’est quoi ?
Je n’aime pas trop en parler. Avant je marchais beaucoup avec des objectifs. Maintenant, je ne me mets pas de limite, je veux jouer le plus possible et de monter au classement rapidement. Si je peux jouer à Roland-Garros, je ne dis pas non. L’objectif c’est de monter et rester en forme. J’ai en tête d’enchaîner. J’ai demandé wild-card à Grenoble, à Poitiers je ferai la demande aussi. Jouer les 25 000$ en France, ce serait top. Sinon, je partirai en Egypte ou en Tunisie pour aller grappiller les points.
Qu’est ce qui te comblerait en tant que joueuse ? Quel palier faudrait-il franchir ?
Jouer un Grand Chelem ! Y a tellement de filles que j’ai battues qui ont pu jouer un Grand Chelem, ça me fait un peu chier honnêtement... Pour que ma carrière soit réussie, il faut jouer en Grand Chelem !
Est-ce que tu t’es fixée une deadline ?
Oui oui je fais deux ans sur le circuit. Je me donne deux ans à 100%. Si je vois que je ne rentre pas en Grand Chelem dans deux ans, j’arrête. J’ai de la chance d’être avec Yonex. Financièrement, mon père m’aide un peu. J’ai eu la chance de bien jouer à Poitiers et de faire les tournois français cet été, les matchs par équipe en Allemagne. Mais, c’est très compliqué ! Quand je voyage, je ne suis pas au centime près mais pas loin. Au lieu de choisir l’hôtel de l’organisation, on essaie de partager un air BnB à 3 ou 4.
Petite anecdote, l’année dernière je jouais au Mexique et arrivée à l’hôtel ma carte bleue ne passait pas. Je ne me suis pas inquiété, au contraire, je me suis dit « Léo, il faut que tu te bouges et que tu joues bien », et j’ai atteint la demie en simple et finale en double. En 15 000$, il y peu de points et ça coûte de l’argent. A Manacor, j’ai fait 11 matchs pour 4 points. Voilà…
Pour conclure, est-ce que tu as un rêve ?
Forcément jouer Roland. Déjà parce que j’adore jouer sur terre battue. Ensuite, c’est en France et j’ai de bons souvenirs là-bas.
