Tennis. ITW - Jonathan Eysseric : "C'est dur de faire son trou"

Ancien numéro un mondial chez les juniors, Jonathan Eysseric est aujourd'hui à la croisée des chemins. Le gaucher français de 25 ans, 237e au classement ATP, évoque avec beaucoup d'humilité et de franchise sa situation actuelle et les difficultés du quotidien que le grand public ne connaît pas. Sa motivation reste intacte comme il reste persuadé que le tennis tricolore saura rebondir. Entretien sans détours.

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Jonathan, vous êtes, à 25 ans, au carrefour de votre carrière. Quel regard portez-vous sur tout ce qu’il vous est arrivé depuis le début ?

Il y a beaucoup de choses. C’est difficile à dire mais par rapport à mes objectifs, je trouve que je n’ai rien accompli encore. J’ai encore plus ou moins tout à faire. C’est assez dur de dire sur huit ans tout ce qu’il y a eu. Il y a eu des superbes choses, d’autres plus compliquées. On passe un peu par tous les états. Aujourd’hui j’ai de la chance : je suis encore en forme, je n’ai pas de pépins physiques pour l’instant donc j’ai encore au moins, si je joue correctement, dix ans devant moi. J’espère que tout reste à venir.

Pensez-vous que les gens se sont trop focalisés sur l’idée que vous alliez tout casser chez les pros après avoir été numéro un mondial junior ?

Les attentes sont légitimes quand on a un jeune qui joue bien, on a envie de le voir le plus haut possible chez les seniors. Cela peut aider mais aussi desservir. Moi je pense que c’était les deux en même temps. Je jouais très bien à la sortie des juniors, je n’avais pas trop de soucis et puis après ma première blessure et quelques doutes, l’attente était toujours là et moi je me sentais moins bien. Forcément, quand on se sent moins bien, c’est plus dur de vivre avec la pression, tout est plus difficile. Après cela dépend comment on gère la pression. Moi je pense que je l’ai très mal gérée. Ce sont des expériences qui font que peut-être cela me servira dans le futur mais c’est normal que les gens attendent beaucoup d’un numéro un mondial juniors ou d’un Français prometteur.

A vous entendre, votre parcours pour l’instant s’apparente à une leçon d’humilité et le passé reste le passé…

J’essaye de ne pas ressasser le passé mais forcément c’est compliqué quand les sensations qu’on avait plus jeune sont plus difficiles à avoir maintenant, quand les résultats d’avant ne suivent pas… Forcément on y pense mais le but est d’arriver à tirer le positif de tout ce qu’il y avait avant et ne plus penser aux points négatifs du passé. C’est sûr que de temps en temps on y pense mais il faut essayer d’avancer tous les jours.

"C’est très dur d’arriver vite dans les 100"

Votre sport marche beaucoup par générations. Vous êtes au milieu par rapport aux Tsonga, Simon, Gasquet et à la relève qui arrive. Quel regard portez-vous sur le tennis français alors que certains s’alarment sur la suite ?

Je ne suis pas forcément d’accord avec les pessimistes. Il y a quand même Mannarino, Paire, Chardy qui sont là, qui ont encore plein de choses à prouver et qui peuvent largement arriver proches de 10. On est quand même plein de joueurs proches de la 200ème place. Aujourd’hui c’est très dur d’arriver vite dans les 100 à part quelques exceptions comme Zverev, Coric et Chung mais bon, on les compte sur les doigts d’une main les gens qui explosent très vite à 20 ans sur le grand circuit. Quand on regarde le top 100 aujourd’hui la moyenne d’âge oscille plutôt vers 28, 29 ans. La plupart du temps ce sont des mecs qui sont là sur le grand circuit depuis sept, huit ans.

Aujourd’hui c’est très dur de faire son trou en passant par les Challengers car il faut avoir une superbe bonne passe et la garder pendant un petit bout de temps car il y a plein de joueurs qui arrivent à gagner un Challenger par-ci, par-là mais cela ne suffit pas. Si tu passes que par ces tournois il faut en remporter 6, 7 avec de gros résultats ailleurs pour arriver dans les 100 ou alors il faut faire des exploits en Grand Chelem. Aujourd’hui c’est très compliqué de faire tout cela. Cela demande un minimum de maturité. Il y a encore plein de jeunes qui arrivent chez les Français : Pouille, Hemery, Hamou etc. On doit bien être la nation la plus forte en termes de densité de joueurs. Dans les prochaines années il y aura toujours le même nombre de Français dans les 100 quand les autres vont arrêter.

Vous avez remporté le Future de Saint-Gervais en juillet avant de connaître une période compliquée. Comment expliquez-vous cela ?

C’est dur. Je ne joue pas très bien depuis deux mois. J’ai eu des soucis personnels début août et je me suis un peu blessé juste avant l’US Open. J’ai un peu de mal depuis Saint-Gervais. Avant aussi j’avais eu un peu de mal en juin. J’étais sur une bonne lancée après Bordeaux (Ndlr : demi-finale) mais je n’ai pas joué en compétition pendant trois semaines. Là cela fait un mois et demi, deux mois que cela est compliqué. Je ne sais pas trop pourquoi. Je m’entraîne bien, je fais les choses bien mais cela ne passe pas. Il me manque un petit truc, un peu de confiance pour faire tourner les choses en ma faveur quand je perds 6-4, 6-4 et qu’il n’y a que deux breaks par exemple. C’est sûr que ce ne sont pas les périodes les plus faciles à gérer mais bon il faut essayer de rester positif et d’avancer en faisant tourner cela.

"Se rattacher aux choses qui font plaisir"

Justement comment essayez-vous de vous remobiliser pour garder la passion intacte après être passé par "tous les états" comme vous dîtes ?

Je ne cache pas que c’est dur mais je me concentre sur le fait qu’il y a des gens qui pensent que je peux encore bien jouer au tennis, que la réussite peut tourner. Il faut essayer de mettre de l’envie chaque jour et de s’accrocher mais ce n’est pas évident. Il y a des jours où l’on n’a pas envie de se lever mais il faut tout de même aller à l’entraînement. Au bout de deux frappes tu as parfois envie de tout casser car tu n’y arrives pas mais il faut prendre sur soi et tirer du positif de tout ce que l’on fait. Ce n’est pas toujours facile. Les gens ne voient que les résultats directs mais ils ne se rendent pas compte des moments de doute. Il y en a beaucoup dans une année. Il faut arriver à les gérer du mieux possible, se rattacher aux choses qui font plaisir, avancer jusqu’à que cela passe.

L’année dernière vous aviez mis en place une cagnotte pour vous payer un entraîneur sur une saison. Comment s’est passée votre organisation financière cette saison ?

La cagnotte m’a aidé et elle a fait beaucoup parler de moi. D’autres personnes extérieures sont venues. J’ai eu des sortes d’investisseurs qui ont pu m’aider à joindre les deux bouts tranquillement. Je ne peux pas faire non plus n’importe quoi mais cela m’a aidé à boucler ma saison assez facilement.

Quel est votre programme jusqu’à la fin de la saison ?

J’étais un peu gavé en revenant de la Chine et je ne me suis pas trop accroché contre Sitak au premier tour des qualifications de Kuala Lumpur car j’en avais vraiment ras-le-bol. Du coup là je vais essayer de me refaire plaisir en France car c’est quasiment là où j’ai tous mes résultats depuis un moment, où je joue le mieux. Je vais faire Nevers, Rennes, Rodez et après je vais voir pour la suite. Je vais sûrement finir ma saison, avant les matchs par équipes, par Mouilleron-le-Captif. L’objectif dans l’immédiat est de valider les qualifications de l’Open d’Australie. J’ai 25 points à défendre. Si je pouvais prendre minimum 30 points jusqu’à la fin cela serait pas mal. Après évidemment cela serait top d’aller le plus loin possible en cette fin de saison. Je vais essayer de reprendre plaisir, de me lâcher comme je me sentais bien à Aix et Bordeaux et de finir avec le sourire.

Propos recueillis par Bastien Rambert, pour Tennis Actu