Tennis. ITW - Le Mag - Justine Henin : "Le coeur parle toujours... "
Par Alexandre HERCHEUX le 26/05/2021 à 14:49
Justine Henin, fondatrice et présidente de la Justine Henin Academy a annoncé mardi lors d'une conférence de presse l’arrivée de Carlos Rodriguez à la direction sportive de son académie. La réunion d'un tandem de choc. Pour rappel, c'est le coach Rodriguez qui a permis à la Belge de progresser tout au long de sa carrière et de remporter 7 titres du Grand Chelem dont 4 Roland-Garros. Afin d'évoquer ce changement à la Justine Henin Academy, Tennis Actu a pu discuter avec l'ancienne numéro 1 mondiale, retraitée depuis 2011. La consultante de France Télévisions a bien sûr parlé avec nous de son académie mais aussi de Roland-Garros et de la décision forte de Caroline Garcia de changer de coach en remplaçant son père par Gabriel Urpi.
Vidéo - Le Mag Tennis Actu avec Justine Henin
Lire la suite de l'article
"C’était une évidence de retrouver Carlos même si je n’aurais pas imaginé ça il y a quelques mois"
Justine, vous avez annoncé mardi l’arrivée à la direction sportive de votre académie de Carlos Rodriguez, votre ancien coach. Au-delà de ses compétences évidentes, le coeur a parlé ?
Oui le cœur parle toujours. Imaginez, c’est 15 ans d’une carrière au haut-niveau ensemble. J’avais 13 ans quand on s’est connus. J’étais une adolescente en pleine construction. Il a eu un rôle fondamental dans mon développement. Ça a été un chemin de vie. C’est vraiment en apprenant à me connaître que j’ai pu construire tous ces résultats. Nos chemins se sont séparés parce qu’un à un moment il faut continuer à faire son expérience d’une autre manière. On ne s’est jamais perdu de vue. Son retour en Belgique avec la crise au moment, où Olivier Jeunhomme, qui occupait cette fonction, a décidé d’aller vers un projet de haut-niveau avec Clara Tauson, a permis que les discussions se mettent en place et oui le cœur a parlé. On cherchait quelqu’un du top niveau. Quelqu’un de présent pour l’académie. Il faut offrir une formation de qualité sur le terrain avec de la présence, avec un directeur sportif qui ne voyage pas à droite à gauche et ça répondait aux aspirations de Carlos à ce stade de sa carrière. C’était une évidence de se retrouver même si je n’aurais pas imaginé ça il y a quelques mois. Ça a été le timing parfait. On a vraiment la volonté de développer quelque chose de beau ensemble.
"Je venais de gagner Roland en 2006 et il était déjà vers le futur. Il a appris à profiter mais il m’aidait à ne jamais m’enliser"
A ses côtés pendant 15 ans, j’imagine que vous avez des anecdotes avec lui qui vous ont marquée. Si vous en aviez une à raconter maintenant ?
Pour illustrer son niveau d’exigence. Il est très humain mais il a également un côté très exigeant qui est indispensable. Il l’est vis-à-vis de lui-même et envers les autres. Je gagne Roland-Garros en 2006 en battant en finale Kuznetsova 6-4, 6-4 dans un match correct mais avec des manquements. On n’a jamais été des grands festifs. Le lendemain matin, on ne parle pas de la veille. Il me dit « il y a Wim qui approche, il y a ça, ça et ça qui n’ont pas fonctionné, j’aimerais ça, ça et ça. » Je venais de gagner Roland et il était déjà vers le futur. Il a appris à profiter mais il m’aidait à ne jamais m’enliser. Il y a une autre anecdote que je raconte plus souvent. Quand je joue Roland-Garros en 2007, c'était particulier, mes frères et sœurs venaient me voir pour la première fois. En quarts, je joue Serena. Il m’amène 3 enveloppes et ne m’a jamais fait ça. Il me dit : « La première, tu pourras l’ouvrir si tu gagnes le premier set, la deuxième si tu sers ou retournes pour le match et la 3e si tu gagnes ». C’est très étonnant comme outil car un de mes traits de personnalité, c’est la curiosité. Il a utilisé un outil surprenant pour me titiller. Il est venu me chercher dans toute ma curiosité. J’ai battu Serena et il a refait pareil en demies, en finale et j’ai gagné le tournoi. Ces enveloppes n’étaient pas vides mais il n’y avait rien de miraculeux. Des rappels tactiques, des encouragements… rien de révolutionnaire. C’était d’abord titiller ma curiosité et témoigner sa confiance. C’est une anecdote qui illustre Carlos dans tout ce qu’il est. C’est quelque chose qui m’a beaucoup marquée. Il y en aurait 1000 autres…
Ça en dit long sur l’intelligence et la subtilité du personnage.
Complètement ! Vous savez, Carlos est un passionné qui est humble. C’est ce qui caractérise les grands coachs et il en fait partie. Cette intelligence de savoir qu’il ne sait pas tout… Il a beaucoup observé les autres travailler tout en avançant avec ses propres convictions et toujours avec une forme de simplicité. On n’est pas là pour révolutionner l’apprentissage du tennis mais plutôt avoir une approche humaine avec des outils simples.
"Clara Tauson est vraiment notre projet inspirationnel"
Une de vos protégés, Clara Tauson explose au haut niveau. J’imagine que c’est une belle fierté pour votre académie. Vous avez d’autres joueurs et joueuses qui pourraient suivre la même trajectoire ?
Clara est vraiment notre projet inspirationnel. Le haut-niveau est une motivation pour tous nos jeunes. La philosophie dans l’académie, c’est d’avoir un projet par joueur, notamment avec le tennis-études qui est fondamental pour nous. Il faut de l’inspiration parce qu’on aime le haut-niveau mais pas seulement. Avoir deux, trois joueurs comme ça, c’est important. On est une petite académie donc on ne peut pas avoir 10 projets haut-niveau. Quand Clara joue Roland-Garros l’an passé, et que les jeunes la voient et sont admiratifs, c’est une inspiration. Elle a explosé en ce début de saison mais elle est encore jeune. On sera là en soutien de ce projet mais on veut la laisser se développer. L’idée, c’est de développer un ou deux projets du même style. On aime avoir le choix de nos projets car les valeurs sont importantes.
FIRST EVER WTA TITLE 🙌🇩🇰
— wta (@WTA) March 7, 2021
Teenage qualifier Clara Tauson sweeps the competition in Lyon on just her third Tour-level main draw appearance 🧹#Open6emeSensML pic.twitter.com/q0rsSCqake
"Caroline Garcia a pris une bonne décision. Il était plus que temps de le faire. Je pense que ce sera bénéfique pour elle, son papa et leur relation"
Vous êtes la plus Française des Belges. D’ailleurs vous serez encore cette année avec France Télévisions à Roland-Garros. Que pensez-vous de la décision de Caroline Garcia de changer son fonctionnement et de ne plus travailler avec son père ?
Je pense que c’est une bonne décision. C’était probablement dans sa tête depuis un moment. Je suis convaincue qu’il faut du moyen et du long-terme dans le travail mais parfois des changements sont importants surtout quand il y a du cadre familial impliqué. Son papa a fait un travail extraordinaire je pense. Ils ont eu une relation fusionnelle qui a apporté au projet et je pense que c’est devenu un frein à un moment. Je suis à distance, je ne connais pas. C’est seulement de l’extérieur. Je pense qu’on atteint des paliers et qu’il faut d’autres choses pour en franchir d’autres. Il y a un peu de frustration avec Caroline Garcia chez moi depuis quelques années. Son classement de 4e mondiale était peut-être un peu élevé pour elle. Tout ça est allé très vite et il faut trouver une constance. Mais, 40 50e mondiale, ce n’est pas sa place du tout pour moi. Il y a un travail de fond à fournir, clarifier l’identité de son jeu et trouver une ligne de conduite cohérente. C’est une bonne décision, il était plus que temps de le faire. Je pense que ce sera bénéfique pour elle, son papa et leur relation.
Dans L'Equipe ce mercredi, entretien avec Caroline Garcia qui annonce sa décision d'arrêter de travailler avec son père et entraîneur, Louis-Paul Garcia.
— Quentin Moynet (@QuentinMoynet) May 4, 2021
"J'ai envie d'aller chercher des grands titres. Si je le fais maintenant, ça veut dire que je suis prête à le faire." pic.twitter.com/KoxH6RNlx3
Les favoris de Justine à Roland-Garros : "Nadal chez les hommes, Barty chez les femmes"
En 2005, j’avais seulement 9 ans mais vous m’aviez rendu triste en battant Mary Pierce en finale de Roland-Garros. Sur vos 4 titres à Roland, quel est le plus beau à vos yeux ?
Hum… Il y a le premier et le dernier… Le premier est indescriptible. C’est un rêve de petite fille qui en l’espace d’une seconde comme ça devient réalité. Je pense que cette naïveté, cette émotion, cette première fois et la tenue d’une forme de promesse à ma maman, disparue… Il y avait une émotion particulière qui vous tombe dessus. En 2005, les circonstances étaient particulières. Il faisait moche, Mary n’a pas pu imposer son meilleur tennis. Un titre c’est un titre mais avec le recul, on préfère les matchs accrochés et les avoir gagnés. Et la dernière en 2007, c’est ma meilleure saison. Je m’étais retrouvée sur le plan personnel. Mes frères et sœurs étaient là aussi. Je dirais que sur l’aboutissement tennistique c’est 2007 et le premier sur le plan émotion.
Roland-Garros approche, quels sont vos favoris cette année ?
Chez les hommes, pas original, ce sera Nadal. On peut jouer la surprise et se dire qu’il sera titillé. C’est une possibilité. L’année passée, on s’est dit peu de préparation etc… il ne gagne pas de tournoi avant et il gagne Roland sans perdre de set. En 2019, il est bousculé en préparation et voilà. Il a été aussi bousculé cette année mais d’un autre côté il arrive à battre les meilleurs. On peut chercher et se dire que ça se resserre mais au meilleur des 5 sets je le vois encore grandement favori. Chez les filles, il y a eu des tendances pendant la saison sur terre, j’aurais tendance à dire Barty. On va voir sa blessure mais elle a été impressionnante de constance depuis qu’elle est revenue sur le circuit. Elle a aussi gagné Roland. On surveillera Sabalenka, en forme, mais de là à gagner un grand chelem… Osaka qui a l’étoffe d’une fille qui pourrait mettre la main sur le tennis féminin, Swiatek qui va défendre son titre, qui a beaucoup de fraîcheur. Ça sera ouvert et intéressant mais je mettrais Barty en légère favorite.