Tennis. Roland-Garros - Alexander Bublik : "Pour moi, je suis super normal !"
Par Romain BALLE le 31/05/2025 à 19:28
Il n’était sûrement pas le plus attendu dans le tableau masculin, mais le voilà qualifié pour le 4e tour de Roland-Garros. En dominant nettement Henrique Rocha (7-5, 6-1, 6-2), Alexander Bublik a établi sa meilleure performance en carrière Porte d’Auteuil et égalé sa meilleure performance en Grand Chelem (Wimbledon 2023). Au tour suivant, le Kazakhe retrouvera Jack Draper, actuel 5e mondial, pour ce qui sera probablement le plus grand match de sa carrière. Face au Britannique, le joueur aux quatre titres en carrière a perdu deux de ses trois confrontations.
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"Mon coach m'a dit : ‘va à Las Vegas entre Indian Wells et Phoenix, si tu joues comme ça'"
Félicitations. Lorsqu'on regarde tes chiffres sur terre, le nombre de matchs que tu as gagnés, ça a beaucoup augmenté. Tu en as parlé, mais qu'est-ce qui a présidé à cela : un changement de ton jeu, de ton emploi du temps ou de ton attitude ?
Je suis sorti du Top 50 pour la première fois après y avoir passé 6 ans. Je n'arrêtais pas de perdre. Je n'avais plus d'autre choix que d'avoir une approche sérieuse. J'ai joué deux challengers entre les Masters, j'ai fait de plus petits tournois. Il n'y avait plus le temps de perdre du temps. Je venais là pour gagner. J'ai fait une finale et j'en ai gagné une. Je savais qu'il fallait que je prenne mes matchs plus sérieusement. C'est ce que j'ai fait, c'est aussi simple que ça : j'ai juste pris les matchs beaucoup plus sérieusement, parce que je ne pouvais pas imaginer être en dehors du Top 100 et ne pas jouer les matchs que je voulais jouer. Parce que j'ai encore envie de jouer au tennis. Il fallait donc que je change d’approche, d'état d'esprit ; je n'avais plus le choix et je m'y suis tenu. C'est ce qui a fait que j'ai gagné des matchs.
Tu penses que tu as eu besoin de te faire cette frayeur ? Tu ne pouvais pas faire ce changement quand tu étais dans le Top 50 ?
Je ne sais pas. En 2024, à Wimbledon, il m'a été suggéré de prendre un peu de repos. Je suis arrivé au n° 17. Je ne pensais jamais que je serais Top 20. Je me suis dit qu'il fallait que je fasse ci et ça, que je m'entraîne plus, que je fasse attention à ce que je mangeais, que j'arrête de boire, que je sois plus professionnel ; que je sois un bon soldat en fait ! Parce qu'aujourd'hui, c'est vrai qu'on est nombreux à être dans la performance, au point d'être presque des robots. C'est ce que j'ai fait. Mais malheureusement, cette chute n'est pas liée à un problème d'attitude et à un manque d'entraînement, mais plus à burnout. Je regardais les points. Je me disais que si je faisais ci et ça, ce dont j'étais capable, que si je m’entraînais plus, que si mon coup droit s'améliorait, c’est ce qui se produirait et ça n’a pas été le cas. Je me suis demandé pourquoi sacrifier tout cela, pour quel résultat ? Ensuite, l'inverse s'est produit. Mon coach m'a dit : « va à Las Vegas entre Indian Wells et Phoenix, si tu joues comme ça ». Il n’y avait que 50 points à rajouter après Wimbledon. On s'est dit : « allez, on va à Las Vegas et après, on verra ce qu'on fait, on change de raquette ou on arrête ».
Vraiment un voyage à Las Vegas ?
Vraiment, un vrai voyage, comme dans Very bad trip. Ça été super. J'y ai passé 3 jours. Je suis arrivé 3 heures avant le match à Pheonix. Je me suis dit : « je sers à rien, je suis incapable de gagner un match. On va voir comment ça se passe ».
"Pour moi, Jack Draper est un malade !"
Le prochain adversaire est Jack Draper : qu'est-ce que tu retires de la façon de s’améliorer et que penses-tu devoir faire pour être en place lundi ?
Pour moi, Jack est absolument malade. J'ai vu son premier tour l'année dernière. Il est n° 40, il est maintenant Top 4 ou Top 5. C'est dingue ce qui l'a accompli, et ça ne semble pas vouloir s'arrêter. Qu'est-ce qu’il faut que je fasse pour le battre ? Je ne sais pas. Je vais en profiter, me pointer et faire ce dont je suis capable sur le court. C’est mon approche. Jack est un athlète super, un gars super. Je le connais depuis longtemps. J'ai joué contre lui aux qualifications à Queen’s en 2018, il m'a battu, et il m'a dit : « je m'en souviens, j'ai fini par t'avoir ». Et je lui ai dit : « on en reparlera quand tu seras Top 50 ». Et maintenant, il est dans le Top 10 ! Il faut que j'aie le courage d'aller le jouer. Il est vraiment super. Il est au rang 2 ou 3 pour le classement de l'année. C'est dingue ; franchement, c'est dingue !
Le fait d'avoir battu Alex au tour précédent va te donner plus de confiance pour affronter un joueur du Top 10 ?
J'ai été classé 17e et je me disais ; si je fais ci et ça, j'y arriverai, je pourrais faire les ATP Finals, et en fait, ça n'a pas été le cas. Il faut que je me concentre sur ce qu’il se passe. Si je gagne, je gagne et si je perds, je perds. Je n'ai pas d'attentes par rapport à moi-même. Il faut que je sois là, que je tape mes coups droits, mes revers et on voit ce qui se passe ensuite.
"Certains ont gagné des millions d'euros, des titres et ils en veulent toujours plus"
Bravo. Félicitations. Est-ce que tuas le sentiment d'être différent de la plupart des joueurs, pas seulement ton jeu, mais également ta vision de la vie, la façon dont tu parles même aujourd'hui. Tous les autres joueurs sont peut-être des amis plus ou moins bons. Est-ce que tu as l'impression d'être différent et que parfois, cette impression d'être différent est compliquée, parce qu'il faut suivre un chemin différent ?
Vous savez, ce sont eux qui me font me sentir différent. Dans mon équipe et dans ma famille, on s'est toujours demandé si c'étaient nous qui étions différents ou eux. C'est notre approche. Selon moi, je suis super normal. Vous pouvez me voir en train de profiter dans un bar à Paris, dans Paris sortir, rien de fou, mais j'aime bien avoir une vie sociale. Je suis capable de louper un entraînement si j'ai envie, et pour moi c'est normal. À mon avis, je suis un gars vraiment normal. J'ai l'impression d'être différent. Lorsque j'échange avec ceux qui sont dans le Top 10, qui ont gagné des tournois, je les connais, je suis ami avec la plupart d'entre eux, j'ai l'impression d'être différent. Ce n'est pas normal. Si vous voulez dormir, il faut dormir. Nous sommes de grands athlètes. Certains ont gagné des millions d'euros, des titres et ils en veulent toujours plus.
Pour moi, ce n'est pas normal, mais c'est mon avis. C'est un peu l'impression qu'ils me donnent. Aujourd'hui, le sport en général me donne cette impression d'être différent, mais je ne crois pas que ce soit le cas, je crois que je suis un gars normal, qui aime jouer au tennis, qui a réussi. Je dois participer à cette réflexion sur les conséquences du fait que peut-être je ne sacrifie pas autant qu'eux. Mais est-ce que c'est ce que je veux ? Je ne suis pas sûr. Je pense être assez normal. C'est eux qui me donnent cette impression. C'est marrant d'ailleurs. J'ai un peu ma propre vision de ce que je veux accomplir dans ce sport, de ce que je veux me prouver, de ce dont je suis capable, d'avoir atteint ou pas mon potentiel, mais en fin de compte, je crois que je suis vraiment très normal en dehors du court, et ça fait rire les gens. Quand je parle aux joueurs les mieux classés, ils me demandent : « comment tu fais ça ? Tu te réveilles ? Tu vas d'entraîner ? Tu n’es peut-être pas à 100 % ». Je ne sais pas, en fait. C'est qui je suis. Je l'ai accepté. J'essaie de me débrouiller parmi ces très grands athlètes pour au moins gagner ma vie avec ce sport.
Tu penses que tu es normal en dehors du court. Et sur le court ? Parce que quand tu joues, tout le monde t’aime. Tu joues différemment. Lorsque tu jouais à Rome, tout le monde te soutenait. C'est même le cas quand tu joues ailleurs.
C'est une très bonne question. Parce que je mène ma vie en évitant les confrontations. Mais pour arriver à obtenir ces victoires, il faut que je trouve des moyens de prendre le dessus. Je ne veux pas jouer pendant 5 heures 30 contre Jack demain. Donc il faut que j'utilise d'autres outils. Physiquement, je ne suis pas capable de faire un match de 5 heures. Je risque de mourir sur le court ! Je n'en suis pas capable, littéralement ! Je ne suis pas capable de supporter le soleil australien pendant des heures non plus et je ne vais pas le faire, ça m’inquiète pour ma santé. Ce n'est pas le tennis qui est plus important que ma santé. Donc, hors du tennis, il faut que je trouve des moyens de gagner des matchs, que je me demande comment prendre le dessus sur ces gars-là avec ce que j'ai, moi, ce dont je dispose avec certains coups. Parfois, je sais que certains de mes coups semblent dingues, ils ne sont pas aussi dingues qu'ils ne le semblent, mais c'est ce que je fais.
Lorsque j’étais n°17, j'ai essayé de jouer avec eux. Je parlais à Sacha et à Andrei, ils me disaient qu'il fallait taper 15 coups de droit de suite, je leur disais « non, mais 3, ça suffit ». Pour autant, je suis quand même rentré dans le Top 20. Je suis de retour dans le Top 50. Mais si je veux être un grand joueur, si je veux pouvoir être face à ces gars-là, si je veux être en deuxième semaine, si je veux me dire que je suis un joueur dangereux dans tous les tournois auxquels je participe, il faut que je joue différemment, que j'aie un état d'esprit différent, parce que si je fais ces services du fond de court et que j'attends qu'on me renvoie la balle, je vais m'engager dans des échanges longs ; il faut donc que je trouve une façon de faire différemment, que je me force à les faire différemment.
"La vérité est simple : le niveau est moins élevé"
Tu as parlé d'un état d'esprit un peu « robot » parfois. Quand tu descends en niveau challenger, est-ce que tu as l'impression que les gars sont moins des robots, qu'ils sont « plus normaux », pour revenir à ce que tu disais ?
Je suis curieux de savoir ce qui s’est passé avec Moutet en Arizona.
Je vais en challenger entre les Masters, et je n'ai eu que 2 adversaires en dehors du Top 100.
Mais la vérité est simple. Le niveau est moins élevé. J'ai été Top 50 pendant 6 ou 7 ans, dans le Top 30 pendant 2 ou 3 années d'affilée. Je sais jouer au tennis. Ce n'est pas aussi difficile que de jouer contre Alex, par exemple. Même là-bas, ce ne sont pas des gars capables d'aller juste profiter d'une pinte, ils veulent donner le meilleur d'eux-mêmes. Certains n'y arriveront jamais, n'arriveront jamais au top. On peut le dire, on le voit : on sait qu'ils n'y arriveront pas. Mais ils se lèvent quand même. Ils arrivent à 8 heures. Le kiné me dit parfois : j'ai vu ce joueur. Ils veulent donner le meilleur d’eux-mêmes, être la meilleure version d'eux-mêmes. C'est un peu de la folie, parce que les réseaux sociaux nous poussent à être la meilleure version de nous-mêmes alors qu’à mon avis, il faut être juste soi-même.
(Hors micro)
Je pense que tout s'est bien passé. Personne n'a été blessé et même si on peut en parler, en fait, tout s'est passé pour le mieux.