Tennis. Le Mag - Jean-René Lisnard : "Pourquoi Guy Roux serait démodé ?"
Par Alexandre HERCHEUX le 12/04/2021 à 12:58
Le monde doit s'adapter à la pandémie mondiale depuis maintenant plus d'un an et ce n'est pas facile pour tout le monde. Les joueurs de tennis ne sont pas des exceptions. Ce n'est pas Jean-René Lisnard qui dira le contraire. Fondateur de l'Elite Tennis Center à Cannes, l'ancien 84e mondial voit de ses propres yeux l'impact de cette crise sanitaire sur les joueurs et son travail est désormais en grande partie psychologique. Aussi franc que passionné, Jean-René Lisnard est revenu pour Tennis Actu sur son travail au sein du Centre mais pas que... Le Franco-Monégasque de 41 ans a également évoqué la baisse de moral de certains joueurs français, la relève représentée par Ugo Humbert et Fiona Ferro mais aussi la mentalité qu'il souhaite instaurer au sein de son Centre. Passionnant !
Vidéo - Le Mag Tennis Actu avec Jean-René Lisnard
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"Depuis un an, on fait plus d’entretiens avec les joueurs, il faut leur parler souvent. Il faut les rebooster en permanence"
Jean-René, comment ça se passe au Centre avec le Covid ?
Tout va bien, on fait avec les mesures imposées chaque semaine. On est obligés de faire avec. C’est pareil pour tout le monde. Vivement qu'on retrouve nos libertés !
J’imagine que le moral est revenu un petit peu avec une reprise du circuit à peu près normale en 2021 ?
Un petit peu même si on est encore loin du compte. Pour la plupart des joueurs, ce n’est pas évident de les garder tout le temps motivés et super concernés. Il y a beaucoup de contraintes entre les tests et toutes ces règles à la con. Jouer sans spectateur, c’est difficile pour tous les sports. Après comme vous dites, il y a des tournois dans le calendrier. Toutefois, pour les joueurs qui ne sont pas en haut, c’est difficile car le système de points protège ceux qui sont en haut. En Future, ils galèrent. Il faut gagner 50 matchs pour gagner 50 places. Ce n’est pas évident…
Est-ce que vous avez l’impression que votre rôle a évolué avec des joueurs plus atteints psychologiquement ?
Oui carrément ! Depuis un an, on fait plus d’entretiens, il faut leur parler souvent. Il faut les rebooster en permanence. Pas tous forcément mais c’est un des éléments à faire en plus de d’habitude.
"On a quand même une vie de rêve. Mais, je peux comprendre qu’un Gaël Monfils, multimillionnaire, ne soit pas surmotivé en tournoi"
On a l’impression que les fans ne perçoivent pas ou n’acceptent pas ces difficultés psychologiques chez les joueurs. Est-ce que vous comprenez que les Benoît Paire, Gilles Simon ou Gaël Monfils ne trouvent plus l’énergie pour jouer sur le circuit ?
Je vais vous faire une réponse de politique : je comprends les deux côtés. Les gens ne peuvent pas comprendre une vie qu’ils ne connaissent pas, car ils ne connaissent pas la vie d’un joueur de tennis. Les gens sont égoïstes pendant cette crise. S’ils gardent leur travail, ils s’en foutent un peu des autres, ils ne peuvent pas comprendre qu’un joueur de tennis, avec une vie de privilégié, aient des difficultés. Et là je peux comprendre et donner tort aux joueurs. On a quand même une vie de rêve. Malgré tout, ça reste du tennis, et certains perdent leur emploi. Mais, je peux comprendre qu’un Gaël Monfils, multimillionnaire, ne soit pas surmotivé en tournois. Gilles Simon, en fin de carrière, c’est pareil. Benoît Paire n’est pas connu pour être un cador du mental. Tout s’explique. Je me mets à la place des spectateurs et des joueurs.
Comment vous vous placez par rapport à Benoît Paire ? On a d’un côté ses défenseurs, de l’autre ceux qui le fracassent. Où êtes-vous ?
Je vais vous le dire franchement, ce n’est pas un joueur dont je suis fan. Quand vous êtes enseignant, vous ne pouvez pas enseigner ça à votre gamin. J’entends les jeunes qui peuvent parler de ça de temps en temps avec des vidéos à la con… Moi, ça ne me touche pas tellement. Pour lui, ça doit être dur parce qu’il aime jouer avec le public et puis bon, il aime se faire remarquer donc si ce n’est pas avec les résultats, c’est avec autre chose. Je n’en parlerais même pas autant. Je préfère parler des mecs qui montent plutôt que quelqu’un qui met des photos sur ses réseaux. Cette période est tellement instable que ceux qui sont friables craquent plus vite. Je ne vous cache pas que je ne suis pas vraiment Benoît Paire.
⌠Así no, Benoit 🇫🇷
— Argentina Open (@ArgentinaOpen) March 4, 2021
Tras una discusión con el umpire por un pique, el francés escupió en el lugar de la polémica 😡 pic.twitter.com/Qm6SVNGRlo
"Fiona Ferro, c’est une potentielle gagnante de Grand Chelem. C’est une bosseuse et il y a une famille derrière solide et un entraîneur pareil"
Ça semble donner plus de crédit à Ugo Humbert ou Fiona Ferro ? Cette jeune génération a été attendue. Est-ce qu’on peut être optimiste pour les prochaines années ?
Je ne sais pas. On parle seulement de deux joueurs. Optimiste ? A première vue non. Mais vous savez le tennis…en 2 ans il peut vous sortir 3 gars du chapeau. Ugo Humbert, je le connais très mal mais il m’a l’air sérieux. En ce qui concerne, Fiona Ferro, je la connais plus et pour moi, c’est une potentielle gagnante de Grand Chelem. C’est une bosseuse et il y a une famille derrière solide et un entraîneur pareil. Je ne serais pas étonné que ça gagne. Après vous ne savez jamais. Il n’y a pas une tonne de joueurs. Il y a aussi plein de joueurs entre le top 100 et le top 300 et certains vont peut-être exploser. C’est tout ce que je leur souhaite.
Aslan Karatsev a peut-être donné de l’espoir a des joueurs ?
Oui et ça montre à tous les « terre à terre » du tennis, qui disent « si à tel âge il n’est pas là il n’a pas le niveau… » Pour moi ça ne veut rien dire du tout ! Beaucoup de joueurs se laissent enfermer là-dedans. Karatsev en est encore un exemple. Rien n’interdit à un gars de réussir à 24 ans ou 27 ans. Je ne vois pas ce qui pourrait l’en empêcher, à part un entourage qui le tire vers le bas en permanence.
Sara Cakarevic évoque l'Elite Tennis Center au micro de Tennis Actu
"Guy Roux est pour moi l’un des plus grands entraîneurs de foot. Pourquoi ce serait démodé ?"
Est-ce que vous avec des joueurs qui vous tapent dans l’œil en ce moment au centre ?
Je n’aime pas trop parler des joueurs du centre. Je ne veux pas trop parler d’un plus qu’un autre. Surtout, ce sont des projets sur le long-terme. Certains sont dans le vrai et ne le seront peut-être pas dans 6 mois et l’inverse. On a eu pour habitude de croire en tous nos projets. On a réussi à former 3 jeunes jusqu’au top 100 et je ne saurais pas pourquoi vous dire eux plutôt que d’autres. On a des bons jeunes mais la route est longue.
Finalement, vous n’avez pas l’impression d’avoir une méthode ? C’est plus de l’adaptation ?
Un peu des deux. Je n’aime pas trop les méthodes. Pour moi, c’est un travail au quotidien. Tout le monde peut faire des beaux programmes, des tableaux Excel, des statistiques, c’est vachement à la monde ces conneries… mais au final, c’est le terrain tous les jours et ce qu’il se passe entre les bonhommes. Rappelez-vous d’un Guy Roux au foot parti de DH. Il est allé jusqu’en demies de Ligue des Champions. C’est pour moi l’un des plus grands entraîneurs de foot. Pourquoi ce serait démodé ? Mis à part que la société est dans le confort.
Est-ce que la mentalité d’aujourd’hui est encore compatible avec ces méthodes-là ?
Pourquoi y-a-t-il plus de champions de l’Est en ce moment ? Parce qu’ils sont moins dans le confort. Ils ont vécu dans des pays de guerre et ça donne des gamins plus conquérants. Ce sont ceux qui ont le plus d’envie qui réussissent et l’envie part de quelque chose.